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Démarche : HABITER, habiter la nature,

Marie-Claire Colignon

Culture à la Ferme

[- Rencontre à La Forge, le 10 octobre 2024, écrits de Denis Lachaud.
Photographies d’Eric Larrayadieu -]

Marie-Claire Colignon, fondatrice de « Culture à la Ferme »
Dans Frontières, exposition « Opération à Cour ouverte »

Je suis née à Beauquesne dans cette ferme. C’est une maison de famille. J’y ai vécu mon enfance. J’y suis extrêmement attachée.
Mes parents étaient agriculteurs.
Pour moi l’agriculture c’était anecdotique. Ça m’amusait un peu, surtout la moisson pendant les vacances. Il n’a jamais été question que je reprenne la ferme.
J’ai été pensionnaire à Amiens, au lycée. Ensuite j’ai fait des études littéraires et je suis devenue prof.

Mon père avait grandi à Amiens. En première, il a dit à ses parents qui n’étaient pas agriculteurs, qu’il souhaitait reprendre la ferme familiale – elle était louée à ce moment-là. Son père ne s’y est pas opposé, mais il lui a dit qu’il allait devoir faire des études d’agriculteur et c’est ce qu’il a fait.
Il a repris la ferme au cours des années trente. Il a fallu tout réinventer. Il a appliqué ce qu’il avait appris.
Il disait qu’il avait choisi ce métier car il voulait être libre.
Mais il ne m’a jamais encouragée à reprendre la ferme, il m’a plutôt poussée à faire des études, car pour lui, avec les transformations du métier, la liberté du fermier, c’était fini.

Je me suis mariée. Nous habitions à Paris mais nous venions dans cette maison régulièrement, tous les week-ends, avec les enfants, sauf quand nous partions en voyage.
Thierry, mon mari, était originaire d’Amiens. Son père était prof d’arts plastiques. Puis il est devenu inspecteur général. Il a créé le théâtre du Carquois avec Jacques Debary et Jacques Labarrière. Il a aussi mis en place l’agrégation d’arts plastiques.
J’en parle parce que tout est lié…

Après quelques années d’enseignement il y a eu une bifurcation dans ma vie professionnelle. J’ai suivi une formation à la Sorbonne en Conservation du patrimoine et aménagement de l’environnement. Ensuite, j’ai travaillé pour la revue Vieilles maisons françaises. J’en ai été la rédactrice en chef pendant une trentaine d’années. Je me suis efforcée de montrer l’ensemble du patrimoine français, pas seulement les châteaux. J’ai procédé département par département, y compris en outremer. J’ai pris ma retraite en 2006.

*

En 1991, nous avons décidé d’organiser une grosse fête à l’occasion de nos vingt ans de mariage. À la campagne. Dans la ferme où nous venions tous les week-ends avec les enfants.
Il y avait beaucoup d’amis invités. Parmi eux, le comédien Gilles Defacque, directeur du Prato (qui est un Pôle National Cirque). Ce jour-là il a dit que cette ferme était un endroit génial, qu’il faudrait y organiser un festival de théâtre burlesque.
L’hiver suivant on s’est revus, on lui a demandé si son idée, c’était des paroles en l’air. Et pas du tout. Il a proposé de nous aider avec sa structure pour organiser la premier Festival des Comiques Agricoles.
Thierry était publicitaire. Il a été motivé par le projet.
On a créé l’association Culture à la ferme dans ce lieu avec des amis parisiens, profs de fac pour la plupart et on y est passé de l’agriculture à la culture.
La première édition a eu lieu sur une seule journée en juin 1992, moins d’un an après que Gilles en avait eu l’idée. Cinq spectacles. Le Festival des Comiques agricoles est né. C’était formidable.
Alors après on a dit “qu’est-ce qu’on fait ?“
Gilles a assuré que le Prato nous aiderait encore un ou deux ans mais que nous allions devoir nous mettre au travail, apprendre à monter des dossiers, demander des subventions. Le Prato nous a guidés. On s’est formés à l’administration, aux demandes de subventions, aux contacts avec la presse.
La deuxième année le festival a duré deux jours. Nous avions programmé Yolande Moreau, elle travaillait déjà avec Jérôme Deschamps, elle allait commencer avec les Deschiens. Elle a dormi dans le canapé du salon.
Au début on mélangeait tout. Il y avait des gens qui dormaient par terre un peu partout. On a appris à séparer ensuite le privé du professionnel.
On a continué à embaucher des techniciens du Prato. Ils se sont relayés pendant toutes ces années. Certains sont à la retraite aujourd’hui.
Grâce à cette équipe, on a monté des programmations extraordinaires.

À l’époque, il y avait peu de manifestations comme la nôtre.
Nous avons rapidement été aidés par la DRAC, la Région, le Département et la commune. La DRAC, ça a duré une quinzaine d’années, puis ça s’est arrêté. Ella a cessé de soutenir les festivals, elle a pris une autre direction.
Nous, on continuait d’habiter à Paris. On prenait des congés huit jours avant le début du festival et on préparait tout.

*

En janvier 2001, Thierry est décédé. Ça a été un énorme choc.
Les copains ont dit on continue, on va t’aider.
Le festival suivant, Gilles s’en est beaucoup occupé.
On a eu une programmation extraordinaire.
Et le festival a repris son cours.
Mon carnet d’adresses a grossi.
Thierry avait eu envie de créer aussi un festival de jazz et un festival de cinéma. Night and day Beauquesne jazz festival a eu une vie très éphémère. Et le festival de cinéma, Les drôles de bobines de Beauquesne, n’a jamais vu le jour.

En 2003, Daniel entre en scène. On avait été au lycée ensemble, quatre ans dans la même classe. Il était veuf, moi aussi. On s’est retrouvés.

En 2006-07, juste après ma retraite, j’ai écrit un livre : L’Âme des maisons du Nord et de Picardie.

En 2008, j’ai été élue conseillère municipale et, dans la foulée, déléguée à la Com de Com. La même année, la personne qui s’occupait des arts plastiques pour la Région, une habituée du festival, nous a suggéré de participer aux “Invitations d’artistes“. Mais nous n’avions pas d’atelier à ouvrir, juste des bâtiments que je pouvais mettre à disposition. Elle nous a proposé d’exposer des artistes du coin et, comme on ne les connaissait pas, elle nous a suggéré des noms.
On a rencontré Vincent Blary. On a aussi exposé les peintures que faisait sa femme, l’architecte qui avait illustré mon livre avec des aquarelles, on a proposé à ma fille d’exposer des photos et enfin, on a exposé Dany Floret, un garçon de Beauquesne que je connaissais bien.
Et on a eu neuf cents visiteurs.
Ça nous a donné envie de continuer.
On a tout de suite ouvert aux écoles.

Vincent Blary s’est pris au jeu. Il a exploré la ferme, les bâtiments, les différents espaces. Il y avait beaucoup de bazar. Il a eu envie de développer un projet dans la grange sur rue, un bâtiment de 1000 m3.
On a passé un été à tout débarrasser. Il y avait des meubles, des fenêtres, tout un tas de bric à brac. On a donné, on a jeté, on a réutilisé aussi.
Ce projet a déclenché quelque chose, on est passé à la vitesse supérieure.
Il a appelé son projet Le Lieu objet du lieu.
Il a fait une maquette de la grange, puis une anamorphose à l’intérieur. Il l’a reproduite à l’échelle dans la grange puis l’a remplacée par des fils et des lumières, au niveau des arêtes de l’anamorphose.
En se tenant à un endroit déterminé sur la mezzanine, on voyait apparaître une reproduction de la grange dans la grange.

*

On n’était pas particulièrement destinés à faire tout ça. C’est le lieu qui nous l’a suggéré. La Ferme. Et si Gilles n’était pas passé par là avec son idée…

Il a fallu entretenir les bâtiments, renouveler des toitures. Je l’ai fait peu à peu, par tranches.
Je n’ai jamais demandé d’aides pour ça, j’avais trop le nez dans le guidon avec la programmation du festival.

Les institutions ont dit qu’elles continueraient à nous aider mais qu’il fallait que le lieu fonctionne à l’année. Alors on a commencé à organiser des résidences de comédiens, une résidence d’écrivain.

Depuis quelques années, je ne suis plus présidente. Je continue à m’occuper de la programmation avec deux autres personnes et des expositions. La nouvelle présidente est plus axée sur le festival.
Je reste quand-même dans la programmation parce que c’est chez moi.

Les enfants viennent aider au moment du festival, mais ils vivent à Paris. Ils sont attachés au lieu. Cependant, ce ne sont pas eux qui vont reprendre.
Et Enfin, qui sait…
Ils en feront ce qu’ils voudront.

J’ai envie que ça continue. Que ce lieu vive…