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Démarche : HABITER, habiter la nature,

Louise et Gabriel, agricultrice, agriculteur

[ Rencontre des Alouettes, à La Forge, le 7 décembre 2021, écrit de Denis Lachaud ]

GABRIEL – On est agriculteurs dans la Somme.

On s’est installés en 1987.

C’était soit là, soit dans le centre de la France, Louise a de la famille dans le Centre.

On est associés en GAEC avec mon frère, son épouse et notre fils.

Le GAEC compte trois salariés.

LOUISE – Il fait vivre 6 familles.

GABRIEL – On a aussi deux gîtes dont s’occupe Louise.

LOUISE – Au gîte, j’accueille des gens qui travaillent dans la région, des étrangers de passage, des touristes.

Je suis labellisée Gîtes de France, donc je suis visible.

On l’a créé en 2006.

La Somme est tout près, on a un beau cadre.

GABRIEL – Avec notre fils, on a repris une exploitation céréalière.

En tout, on a 350 hectares de terre, mais notre principale activité, c’est l’élevage de porcs.

On a aussi construit un méthaniseur.

Je travaille sur la méthanisation depuis 2009, d’abord sur un projet collectif qui a échoué.

Le méthaniseur désodorise le lisier, un cochon, c’est 1m3 de lisier sur sa durée de vie.

Le moteur transforme le gaz en 40% d’électricité et 60% de chaleur.

On vend de l’électricité et on utilise la chaleur, il fait 20° dans la porcherie en plein hiver.

On a aussi un hangar photovoltaïque, une toiture de 600 m2.

On va passer en auto-consommation.

On a toujours réfléchi à une production qui dépense le moins d’énergie possible.

Notre système est très efficient.

Sur des terres qui ne sont pas de grande qualité, on est obligé.

Le projet méthaniseur permettait de garder notre personnel – on a une bonne équipe, on ne voulait pas les perdre – mais l’objectif, c’était aussi le retour de notre fils.

Pour lui, ce n’était pas évident d’arriver dans une exploitation qui tournait depuis 30 ans.

À la fin de ses études, il a fait un an sur la méthanisation dans un IUT.

Il s’est formé pour être en mesure de gérer le méthaniseur.

Je suis aussi administrateur d’une coopérative.

Je m’occupe de beaucoup d’éleveurs laitiers.

Ils ne sont pas assez payés.

Ça va être l’hécatombe.

Le prix des céréales monte, les coûts montent.

Les engrais par exemple.

Un camion d’azote coûtait 5 000 euros en 2020.

Aujourd’hui c’est 18 000.

Pour faire vivre un paysan, le coût de l’énergie par rapport au prix des produits alimentaires est délirant.

En ce qui nous concerne, le digestat du méthaniseur permet d’amoindrir les effets de ce problème, les porcs fertilisent les cultures et les cultures nourrissent les porcs.

Ça va être très violent. Pour l’agriculture, mais pas seulement, il va y avoir des problèmes d’approvisionnement de pièces.

Avec le COVID, tout s’est désorganisé.

Nous, on a toujours fait gaffe par rapport à l’environnement.

La porcherie est loin du village.

Élever des porcs, ce n’est pas très valorisant.

C’est un métier en voie de disparition.

Les exploitations grossissent.

Dans la Somme, on n’est plus que quarante éleveurs de porcs.

C’est pire dans l’Oise.

Nous on fait partie de la génération des 55-65 ans.

C’est la majorité de ceux qui restent.

Derrière il n’y aura personne pour reprendre.

Quand les agriculteurs prennent leur retraite, comme leurs enfants ne veulent pas suivre, ils font appel à des entrepreneurs.

Ils louent l’exploitation.

Ça donne des fermes à façon.

Les fermiers ne reprennent plus les fermes car il n’y a plus de vie sociale, avec toutes ces grandes exploitations.

Nous, on a la chance de voir du monde.

On n’est pas isolés.

C’est une chance.

On est obligés d’avoir une certaine taille, une structure sociétaire, du personnel.

Ça permet d’avoir des week-ends, de prendre des vacances.

La compagne de notre fils travaille à l’extérieur.

Ils n’accepteraient tout ce qu’on a vécu, toutes les contraintes.

Un éleveur qui travaille seul n’arrête jamais.

On ne peut plus se développer, en porc. C’est devenu trop compliqué.

La société veut manger du jambon mais elle ne veut pas qu’on le produise.

Ce qu’on craint le plus, c’est les associations type L214.

Ils rentrent dans les élevages, ils montrent ce qu’ils veulent.

La cellule Déméter a été mise en place (par la Gendarmerie nationale) pour lutter contre ce phénomène.

Je ne sais pas si ça marche.

On a démarré sur l’élevage en plein air.

Pendant des mois, c’est un véritable tas de boue.

On est passés à la paille dans des étables.

La paille se transforme très vite en fumier, les porcs respirent l’ammoniac, la viande est trop acide et le taux de mortalité supérieur.

Alors maintenant, on produit sur caillebotis.

L’air est propre tout le temps.

Il arrive au dessus des porcs, il est aspiré en dessous.

On vend des porcs vivants au groupement (une coopérative) qui est en lien avec l’abattoir.

On est en filière non OGM.

Il y a dix qualités de porc.

C’est l’abattoir qui évalue la qualité de chaque bête.

Plus il y a de la qualité, plus on est payés.

En ce moment, on nous pousse à aller vers le bio, mais ce n’est pas si simple.

Le porc bio, il n’y en a pas beaucoup, il coûte très cher, tout le monde ne peut pas se payer ça.

En filière bio, les cochons vivent en pâture.

LOUISE – Nourris avec de la pomme de terre et des céréales bio.

GABRIEL – Dans les Pyrénées, ils développent beaucoup le cochon en plein air.

Mais ça pose d’autres problèmes.

Les déjections ne sont pas récupérées, tout part dans la nappe phréatique.

Nous, on récupère le lisier et ça part direct au méthaniseur.

Et puis il y a des maladies liées au plein air.

La nature, ce n’est pas un monde de bisounours.

Avec la coopérative que j’administre, on a monté du bio en lait, mais ça ne suit pas.

Les gens n’achètent pas.

C’est toujours le consommateur qui décide.

On a des gens qu’on a orienté vers le bio, ils vont tenir parce qu’on a des contrats, la coop va servir de fusible, mais on ne renouvellera pas les contrats.

Mon père avait 9 frères et sœurs.

Ils vivaient dans une ferme en location.

Ils se sont fait virer par le propriétaire.

Puis une deuxième fois, ailleurs.

Alors ils ont fini par acheter une ferme.

À partir de ce moment-là, ils ont repris des fermes dont personne ne voulait.

Nous, on a fait du porc parce que, sans l’élevage, on n’aurait pas pu racheter la ferme.

LOUISE – Et aussi à cause de la mauvaise qualité de la terre…

GABRIEL – Quand mon père a commencé, il n’y avait pas d’électricité.

Il a financé la ligne.

Il a commencé avec 10 truies.

Aujourd’hui, le bureau du GAEC, c’est l’ancienne maternité.

On fait tout ce qu’on peut pour ne pas décourager les jeunes.

Ils recherchent du sens aujourd’hui.

LOUISE – On a un beau métier, un équilibre de vie.

Certains de nos enfants sont partis travailler dans d’autres secteurs, je ne les envie pas.

GABRIEL – On a des amis qui sont cadres, quand je vois le stress qu’ils supportent, je ne les envie pas non plus.

Le tout, c’est d’arriver à gagner sa croûte.

Travailler pour rien, ce n’est pas normal.