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Démarche : HABITER, habiter la nature,

Gilles Poujol de Molliens

[- Châtelain du village. Rencontre des Alouettes à La Forge, le 14 décembre 2021 ], écrit de Denis Lachaud. Photographies d’Eric Larrayadieu -]

Le château a brûlé dans la nuit du 10 au 11 novembre 1940. La maison était occupée par les allemands, il faisait très froid, c’est un feu de cheminée qui a déclenché l’incendie. À l’époque, le frère de mon grand-père y vivait. Il est mort en 1947. Je veux bien croire qu’il est mort de chagrin.

Il n’est resté que les murs. Les dommages de guerre ayant été versés en 1949, le reconstruction s’est enclenchée en 1950. Entre temps, le pan central s’était écroulé.

La construction du château datait de 1836. Il y en avait eu un premier avant, qui avait été déconstruit en 1820, pierre par pierre, ainsi que la ferme, située à l’ouest à l’époque, parce que la famille n’avait plus les moyens de l’entretenir, elle avait refusé de prêter allégeance à Bonaparte, donc plus de travail, plus d’argent.

Les pierres avaient beaucoup de valeur, elles ont été vendues pour construire des hôtels particuliers à Amiens. Ce château-là avait été bâti en 1760.

Je ne sais pas comment on a trouvé les moyens de reconstruire 20 ans après. L’argent de la vente des pierres qui aurait fructifié ? Les revenus des terres ? Des dots peut-être ?

D’après la tradition orale, il y aurait eu encore un autre château précédemment à Molliens, au milieu du village, et celui-ci aurait été ravagé par les Espagnols au XVIe siècle.

Le début de la seigneurie remonte à 1366 et la famille Créquy. Avant, Molliens a connu des Seigneurs, mais on a peu d’éléments.

Le seigneurie est ensuite vendue par la dernière héritière des Créquy à un de mes ancêtres côté Belloy. L’acheteur était François Dufresne de Fontaine. La vente a eu lieu en 1695 pour un prix de 28.000 livres.

En 1760, l’aîné de ses petits-fils fait construire celui qu’on appelle le premier château. En 1765, il le vend. On ignore pourquoi. Cette année-là, Poujol vient d’être anobli. Il achète donc sa seigneurie et devient Poujol de Molliens, premier du nom.

Les deux frères Poujol prennent les mêmes armoiries, qu’on retrouve encore aujourd’hui sur les courriers de la mairie de Molliens, ce que je trouve sympathique. Elles représentent deux bouquets de trois roseaux. Notre devise : “Les chênes cassent, les roseaux plient“.

Le premier Poujol de Molliens achète 300 journaux de terre, 7 journaux de bois et 12 journaux de pré (un journal représente la valeur d’une journée de travail).

L’achat du château et des terres revient à 225.000 livres. En 70 ans, on est passé de 28.000 à 225.000 !

C’est aussi le premier Poujol de Molliens qui, en 1786, fait construire à ses frais le chemin menant à Amiens, ainsi que le pont. Le blason Poujol serait représenté sur le pont. Il faudrait le dégager des ronces pour vérifier… Les charrois ont été offerts par les habitants des villages alentour.

En 1794, Poujol de Molliens est arrêté par deux fois et emprisonné. Il est libéré à la demande des gens de Molliens. J’ai entendu dire que pendant la Révolution, c’était plus calme sur Amiens que sur Arras – Robespierre venait d’Arras. Là-bas, une partie de ma famille a été guillotinée.

Ensuite, la lignée Poujol de Molliens s’éteint. Elle est reprise par un petit-neveu. Celui-ci meurt en 1816 à 37 ans, d’une chute de cheval.

En 1870, le dernier descendant du petit-neveu meurt à 20 ans. Il demande à son cousin germain Poujol de Fréchencourt de relever son nom. C’est officialisé le 5 mars 1870 par décret impérial. Poujol de Fréchencourt devient Poujol de Molliens.

Je viens de cette branche.

À la même époque, la femme de l’arrière-petit-neveu d’Adrien Poujol de Fréchencourt, alors châtelaine du village, offre son église à Molliens. La construction s’étale de 1869 à 1872.

Un autre personnage très connu chez les Poujol est un prêtre théologien formé par Bossuet. Malheureusement, toutes les lettres de Bossuet à ce Poujol ont brûlé en 1940 avec le château et l’ensemble de ses archives.

Pour certains, le dommage causé par la disparition de ces archives dans l’incendie est encore plus grand que la destruction du château.

La famille Poujol est originaire de Clermont-l’Hérault. Ce sont des protestants qui ont abjuré le protestantisme avant la révocation de l’édit de Nantes. Ils étaient dans le négoce.

Je suis né en 1961 dans le sud-ouest. J’ai été conçu en Algérie, mon père était militaire. J’ai grandi dans le sud-ouest jusqu’à l’âge de 8 huit ans, puis mon père a quitté la marine. Alors nous avons passé un an à Molliens, le temps qu’il retrouve un travail. Il faisait froid dans la maison, la température descendait jusqu’à 5 degrés. Mais je ne me souviens pas d’avoir eu froid. Les enfants s’habituent vite. On s’habitue à tout. Ça m’est resté. Même si mes parents ont fait installer le chauffage central, je n’aime pas chauffer. il fait 15° dans le hall, 12 dans ma chambre. Mais je suis bien. J’ai de gros édredons ramenés du sud-ouest. Je dors à l’ancienne. Je ne suis jamais malade depuis que je vis ici.

Au bout d’un an nous sommes partis à Valenciennes. J’y suis resté 10 ans. En 1982, mes parents sont revenus à Molliens pour leur retraite. Moi je suis allé à Paris faire une licence d’histoire. Je n’aimais pas les études. Je voulais travailler, gagner de l’argent pour me payer une belle moto. Mon père passait son temps à m’engueuler. Je n’étais pas assez sérieux pour un Poujol.

J’ai fait mon service militaire dans la marine. J’ai parcouru une partie du monde sur la Jeanne d’Arc.

Pendant mes études, j’ai fait toutes sortes de petits boulots. L’été je travaillais comme intérimaire. Finalement j’ai renoncé à m’acheter une moto, j’avais déjà une 125… Je me suis offert une voiture. Une Triumph décapotable.

Quand j’étais étudiant, je venais à Molliens les week-ends et pendant les vacances.

Le métier que j’ai exercé est généalogiste successoral. J’ai travaillé en cabinet jusqu’au jour où je me suis mis à mon compte. Finalement, j’ai arrêté. Les notaires commandent des recherches aux petits indépendants mais ils ne leur confient jamais  les gros dossiers.

Je me suis finalement installé à Molliens en janvier 2010. Mes parents étaient partis vivre à Amiens en 2005.

La ferme du château a été abandonnée en 1971. Mon grand-oncle, que tout le monde appelait Mr Louis, dirigeait tout ça. Les fermiers étaient payés pour cultiver. Ils avaient aussi des animaux. Andréa, qui gérait la ferme, elle travaillait beaucoup. Elle était une excellente gestionnaire, elle développait très bien les activités. Mais elle aimait bien la gent masculine. Elle a fini par se retrouver avec un bon à rien qui se saoulait et tirait sur les canards dans la mare. Mon père les a congédiés et il a donné les terres en fermage.

C’était une belle ferme, un ensemble de bâtiments en carré comprenant une écurie pour 18 chevaux, une habitation, des étables, des granges et au bout, le potager-verger. L’étable des vaches avait ceci d’exceptionnel qu’on pouvait la traverser avec une charrette. Le potager datait du 19e siècle. 2500 m2 de potager et 5000 de verger.

Il n’y a plus de potager. Moi je ne suis pas assez courageux, ça fait mal au dos. Le verger a dépéri. Il a été mis en cultures. L’an prochain, il sera remis en prairie, les machines ont du mal à accéder, elles sont trop grosses.

C’était une ferme de 97 hectares. Mon père en a vendu 12, il en restait 85.  Une population importante vivait dans la ferme : une maison de gardiens avec le cocher et la cuisinière, quelques domestiques…

C’était une ferme de bon rapport.

Aujourd’hui, elle s’écroule peu à peu. Mon père ne le voulait pas, mais je n’ai pas les moyens qu’il avait, alors je la laisse s’écrouler. j’ai juste tapé dans mes économies pour sauver la chapelle qui date du 18e siècle, et j’ai fait consolider la poutre maîtresse de la maison du gardien qui menaçait de s’écrouler.

Il y a toujours des travaux à faire au château. J’ai financé la réparation du perron de devant. Un énorme travail. Mon père s’était occupé de celui de derrière. Aujourd’hui, deux gros budgets seraient à consacrer d’une part à des cailloux qu’il faudrait répartir dans l’allée – il y en a pour 15.000 euros, j’attends… – et d’autre part aux volets. Il faudrait les repeindre tous et avant, réparer ceux dont le bois a pourri, ceux dont les attaches ont cassé… C’est un énorme budget. Il y a 14 fenêtres en haut et 13 en bas, 27 fenêtres, donc 54 volets.

N’ayant pas d’enfant, je compte transmettre à mon filleul, un de mes neveux. Lui n’est pas un Poujol, mais sa mère l’est. Je ne sais pas s’il en voudra. C’est un cadeau empoisonné.

En 1950, c’est ma grand-mère qui s’est intéressée à la reconstruction du château. Elle a fait appel à un architecte-décorateur d’Amiens. elle a voulu du moderne. Moi j’aurais préféré un style 19e… Je suis un peu passéiste.

Action réalisée

Auteur.e.s
Denis Lachaud

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