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Démarche : HABITER, habiter la nature,

Marine Vilbert

Floricultrice

[- Écrit de Denis Lachaud, Rencontre des Alouettes, à La Forge, le 23 mars 2023. -]

J’ai grandi à Rubempré. Enfant, je m’ennuyais à la campagne. À l’âge de 18 ans, je suis partie faire mes études à Paris, 5 ans d’études en architecture intérieure. Ça me plaisait de vivre en ville. J’ai travaillé 3 ans pour une marque de luxe, je concevais l’aménagement des boutiques. Je m’y sentais très bien, même si je passais beaucoup de temps dans un bureau, derrière un ordinateur à dessiner. Et puis ce dont il s’agissait au fond, c’était de vendre des parfums et du maquillage. J’ai fini par quitter mon emploi et me lancer dans un C.A.P. de fleuriste. La décision de partir a été très dure à prendre.

85% des fleurs vendues en France sont produites à l’étranger. Beaucoup en Afrique. Elles sont ensuite envoyées à Amsterdam puis redistribuées en Europe, à New-York, en Asie. Il y a aussi une grosse production aux Pays-Bas, la filière est rodée.

Après mes études j’ai rejoint le Collectif de la Fleur Française. C’est une association qui vise à promouvoir le local. Tous les membres doivent vendre au moins 50% de fleur française. j’ai travaillé dans une boutique membre du collectif. Mais là aussi, aller acheter ses fleurs à Rungis, je trouve que c’est dommage. C’est tellement plus plaisant de les cueillir.

Je suis entrée dans ce métier pour la création. Comme mon père avait des terrains disponibles,  j’ai commencé à réfléchir. J’ai visité des fermes florales pour voir comment on pouvait produire à petite échelle. À  ce moment-là, il n’y en avait aucune en Picardie. Alors à l’été 2021 on a fait un test, du semis direct. J’ai aussi fait un stage chez une productrice en Bretagne. À l’automne 21 j’ai planté mes premiers bulbes de fleurs. 2022 a été la première vraie saison de production.

En 2022 j’ai cultivé sur 400 m2.

J’ai une serre de 80 m2 et on est en train d’en installer une autre de 600 m2 que je ne pense pas utiliser entièrement cette saison.

Je produis des fleurs coupées, pas de plantes en pots. Ma production est bio. J’essaie de ne pas produire de déchets, j’évite les mousses utilisées pour tenir les fleurs et retenir l’eau, on peut s’en passer, on peut caler les fleurs avec du grillage à poules par exemple.

J’achète mes graines et je les plante dans des plaques de semis. J’ai 200 à 250 variétés de fleurs. Je plante peu de graines par variété.

Je fais plusieurs semis décalés d’un mois. Les fleurs que je vends en ce moment ont été plantées en octobre 22 sous serre. Les mêmes plantées dehors auront 3 semaines de décalage.

Je plante de l’eucalyptus pour la verdure dans les bouquets. Ça pousse vite. Les graines ont manqué à cause des feux en Australie. J’ai essayé les boutures mais ça n’a pas marché.

Je vends mes fleurs en direct, pour des événements, des mariages. je vends aussi en bottes à des fleuristes d’Amiens qui commencent à vouloir de la fleur locale.

Je suis amenée à faire des décors, des suspensions, des arches pour les mariages. C’est ce qui me différencie. Je peux utiliser les compétences que j’ai acquises avant, en déco.

J’anime aussi des ateliers floraux. Je fais visiter la ferme, j’enseigne comment composer des bouquets.

La floraison commence fin mars. C’est très gratifiant quand les fleurs arrivent. On a tellement travaillé dessus.

Une plante qui fleurit, il faut la vendre dans les 2 jours. Il faut être réactif. On est sur une production fragile.

Je coupe les fleurs 2 ou 3 fois par semaine. Je mixe les stades floraison dans les bouquets

La charge mentale est énorme. Il faut anticiper ses canaux de vente. Quelles couleurs veulent les mariés ? Quelles fleurs leur plaisent ? Qu’est-ce que j’aurai le jour du mariage ? Qu’est-ce qui tient ? Il faut constamment anticiper pour avoir une belle diversité de fleurs.

Les fermes florales à petite échelle, comme la mienne, c’est très récent, ça a commencé il y a 4 ou 5 ans. Aujourd’hui on en compte une centaine en France.

Environ 80% de ces fermes sont tenues par des femmes. Beaucoup se sont reconverties, comme moi. Pour être plus proches de la nature, pour avoir la liberté d’être à son compte, même si c’est une liberté cher payée.

Il y a beaucoup d’entraide. On dispose d’une plateforme sur internet. Quand on a un problème, on peut demander des solutions.

Je suis aidée par mon père. Il monte les serres, il fait quelques travaux dans l’atelier. Il me donne des conseils quand les fleurs ont des maladies qu’il connaît. Je cherche aussi sur internet comment résoudre mon problème.

Le gros dilemne, c’est les insecticides. J’ai un problème de puceron. J’ai essayé le savon noir, le purin d’ortie, même le coca. J’en ai moins mais ça n’élimine pas tout. La mort dans l’âme je vais peut-être devoir acheter un insecticide autorisé en bio.

Il nous arrive de passer le motoculteur, mais j’essaie de ne pas travailler le sol. J’ai des planches de culture. Après 3 mois, je peux planter. Pour étouffer l’herbe, je récupère des cartons que j’étale, je mets du compost par dessus. On a acheté du paillage récemment. J’ai juste quelques chardons et rumex qui passent. L’été je me fais un peu déborder par les mauvaises herbes.

Je teste tout ce que je peux tester.

Pour l’instant je ne fais pas de plan de culture. Il faut que je professionnalise ça à l’avenir.

En 2022, j’ai eu des fleurs fraîches jusqu’en octobre/novembre. Ensuite j’ai travaillé sur des fleurs séchées. Ce sont des variétés différentes. Elles doivent rester jolies en séchant, garder de la couleur. On les fait sécher la tête en bas. Il faut que la tige reste droite. Pour les fleurs séchées, on a isolé une partie de l’atelier et on a placé un déshumidificateur.

L’été prochain j’aurai une stagiaire Erasmus. Elle vient d’Espagne, elle fait des études de fleuriste mais elle a envie de produire. Sinon je suis seule dans mon atelier, dans la serre, dans le champ.

Je parle avec des copines productrices.

Je ne sais pas pendant combien d’années je ferai ça. On verra. Il y a cinq ans, j’étais loin de m’imaginer que je deviendrais floricultrice. J’adore mon métier. Je n’imagine pas faire autre chose pour l’instant.

J’ai des livraisons toutes les semaines. C’est productif, la fleur.

J’ai pas mal de clients parisiens qui se marient dans la région. Souvent les gens viennent parce que c’est local, champêtre. Dautres parce que je peux faire de grands décors – c’est assez technique car il faut que ça tienne. D’autres aiment le style aérien de mes bouquets, j’aime que les bouquets ne soient pas comprimés, que l’air circule, que les fleurs qui vont s’ouvrir aient de la place. Ce sont des bouquets à l’anglaise, dans la même logique que les jardins : on a l’impression que le bouquet vient d’être cueilli et en fait on a passé une heure dessus.

Les gens qui se marient, je leur fais visiter la ferme, ils comprennent comment je travaille, ils comprennent les prix, ils comprennent qu’ils vont soutenir une entreprise engagée.

L’hiver c’est dur parce qu’il fait froid, l’été c’est stressant parce que les fleurs vont plus vite, mais je trouve ça bien d’être connectée aux saisons, de ne plus être dans un bureau où il fait la même température toute l’année.

J’habite à Amiens, en ville. La ferme est à Rubempré, à 20 km. Quand j’aurai vendu beaucoup de bouquets, les hortillonnages me tentent bien.

Voir le site À L’OMBRE DES BLEUETS de Marine Vilbert
8 rue Charles de Gaulle – 80260 Rubempré / 06 12 49 55 95 / bonjour@alombredesbleuets.com
Après-midi, lundi au vendredi (prévenir avant la venue).