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Démarche : HABITER, habiter la nature,

Sarah, Maximilien de Wazières, et Jean-Elie Bonnay

Vigneron·ne·s

Dans la cave de La Cour de Bérénice de Sarah et Maximilien

Dans la nouvelle vigne de Jean Élie

MAXIMILIEN – On habite Terramesnil, en allant vers Doullens.

On est agriculteurs sur une ferme familiale que j’ai reprise en 2011. À l’époque de mon grand-père, c’était une ferme d’élevage. Mon père a remis les terres en culture.

On n’est ni l’un ni l’autre issus d’un milieu viticole mais la vigne, ça nous trottait dans la tête. Un jour on s’est décidé à creuser l’idée. Quelqu’un nous a mis en contact avec un viticulteur bourguignon des hauteurs de Nuit Saint-Georges. Il est venu en 2015. Je suis allé le chercher à la gare des Betteraves. Il m’a posé des questions en route, il a compris que je n’y connaissais rien mais il a été rassuré en voyant la parcelle. Il était parti de rien lui aussi, il avait défriché, planté…

Au cours de sa carrière, il avait été planter des vignes à Tahiti, au Gabon, en Birmanie – Il avait déjà 75 ans quand il est venu – donc notre idée de faire du vin en Picardie, ça ne lui a pas posé de problèmes.

On l’a bombardé de questions, on a copié son modèle.

Bernard est décédé en 2019, mais ceux qui travaillent sur son domaine on repris le relais avec nous. On les harcèle moins qu’au début, le débroussaillage est terminé, on en est à l’affinage.

Ce qui nous amusait, c’était d’aller de A à Z, de planter les pieds et d’aller jusqu’à l’étiquette sur la bouteille.

On a commencé avec 3 hectares et demi. Bernard nous a conseillé une surface minimum pour vinifier. Le fait que ce soit très aéré ici, c’est bien. On fait deux tiers de blanc et un tiers de rouge. Pour le blanc on a planté du chardonnay, pour le rouge du pinot noir.

Le rouge, je n’y croyais pas, mais Bernard m’a conseillé d’essayer.

Depuis on a replanté, on en est à dix hectares. On veut que ça reste familial et il ne faut pas oublier qu’on a un autre métier à côté, il faut continuer à s’occuper de la ferme.

Au départ on n’a même pas été voir les banques. Ils nous auraient pris pour des fous. Maintenant on est un peu plus crédibles. On a été voir une banque pour financer quand on a replanté.

On a embauché un jeune à mi-temps pour travailler avec moi sur les vignes. Quelqu’un qu’on forme, quelqu’un d’ici. On a aussi des petites mains qui nous aident.

Je suis allé à Beaune pour me former, au lycée viticole. J’ai suivi les modules viti et vini, chaque session dure une semaine. Les profs sont des vignerons, ils puisent dans leur vécu. En tout, j’ai fait trois mois de formation.

Avant j’étais commercial, je voyageais beaucoup. Quand je me suis installé comme agriculteur, ça a été dur au début. Et puis j’ai pris le rythme.

Aujourd’hui on en est à nos cinquièmes vendanges. On a planté à l’année n et la première vendange, on l’a faite à n+2. On a atteint notre rythme de croisière à n+5.

On a eu notre premier vin en 2019.

2023 sera le cinquième. Il sera mis en bouteille au printemps 2025.

Le vin passe son premier hiver en cuve. Une fois qu’il est sec, c’est à dire quand tout le sucre s’est transformé en alcool, on le met en fût. Après un an, il repasse en cuve et on laisse décanter. On ne filtre pas. Les filtres enlèvent des arômes. On met en bouteille au printemps.

La vinification est une période critique. Par exemple, il ne faut pas que la température du vin monte trop dans les cuves. Il nous est arrivé de nous relever la nuit pour vérifier.

Viticulteur c’est un métier sur du long terme, un métier passionnant. Il faut savoir être patient et il faut se méfier du côté passionnel. Bernard nous a prévenus. Il avait des regrets, côté famille par exemple. Il considérait qu’il ne s’y était pas assez consacré. Il nous a conseillé de ne pas suivre son exemple de ce côté-là, d’y faire attention.

On a planté 3300 pieds par hectare.

On n’est pas dans une AOP mais on se calque sur le modèle bourguignon. On adapte par la suite.

En ce qui concerne les rendements, on fait 35 hectolitres par hectare pour le blanc et 30 pour le rouge.

On freine pour arriver à ce rendement. C’est un choix qu’on fait à la taille. On a aussi fait le choix de se spécialiser en vin tranquille (sans bulle).

On effeuille à la main, pour ne pas abîmer les raisins.

Le vin n’est pas bio, nos vignes sont trop jeunes pour supporter les rasettes. Pour l’instant on désherbe chimiquement.

On picore ce qui nous intéresse dans les différentes techniques. Il y aura juste un pas à sauter pour devenir bio si on le décide.

On a 20 centimètres d’épaisseur de terre, après c’est de la craie. Les pieds sont greffés, ça permet d’échapper au philloxera. On choisit le porte-greffe en fonction du sol.

On a planté au printemps. Pas trop tôt, à cause des gelées tardives. La vigne c’est assez risqué. Il y a les gelées de printemps, la grêle, la grillure, les oiseaux, notamment les étourneaux qui se regroupent fin septembre, le mildiou et l’oïdium, un champignon qu’on craint. Les Belges essaient des cépages résistant au mildiou et à l’oïdium. C’est intéressant à suivre. On n’est pas allés dans cette direction, on a pris des cépages classiques, parce qu’on avait déjà beaucoup d’inconnues dans l’équation.

La grêle on la craint jusqu’au bout. Octobre est une période dangereuse pour la vigne, il ne faut pas vendanger trop tard. Les rendements inférieurs qu’on a mis en place font que le raisin arrive à maturité plus tôt.

On a eu beaucoup de chance cette année. Fin septembre début octobre il faisait encore 20 degrés dans la parcelle. On profite égoïstement du réchauffement climatique, il va dans notre sens.

Les vendanges, ça ne s’improvise pas, c’est sur 5 jours. On organise tout pour que tout le monde vienne. Puis ça démarre.

On vend notre vin en vente directe, pas en primeur. On a plusieurs types de formules.

Le goût change tous les ans bien sûr, mais il faut qu’il ait une trame. Avec une même parcelle, les mêmes pieds, le même raisin, selon les choix faits en cuverie, on obtiendra des vins différents. On suit le même processus chaque année, ça aide.

Sur le rouge on fait des longues macérations. On essaie de trouver un compromis entre un vin qui se garde et un vin qui peut se boire rapidement. On goûte d’année en année pour voir comment il évolue. C’est une découverte.

On pense aller jusqu’à deux blancs et deux rouges.

On a simplifié la ferme pour dégager du temps. On a limité les cultures de printemps parce que sur la vigne, il y a beaucoup de choses à faire au printemps. On fait pousser du colza, du maïs, des cultures d’hiver, un peu de maÏs, de pomme de terre.

SARAH – Je suis d’ici, moi aussi. Je travaillais dans la formation professionnelle continue. J’ai rejoint Maximilien en décembre 2022. Je me consacre à la construction de l’image de marque, l’étiquette, les bouteilles. Même si on fait tout ensemble.

Pour le nom du domaine, on partait sur Clos, Château… Mais c’est protégé, on n’a pas eu le droit. Cour, on pouvait. Alors on a choisi La Cour de Bérénice. Bérénice est le prénom de notre première fille.

Sur l’étiquette, il y a le nom du domaine, le cépage et l’année. On n’a pas le droit d’écrire “Vin de la Somme“, on n’a pas le droit à “Mis en bouteille à la propriété“. On écrit “Mis en bouteille dans nos chaix“.

MAXIMILIEN – L’avantage de ne pas avoir d’AOP ou d’AOC c’est qu’on n’a pas de cahier des charges. On fait notre vin comme on décide de le faire.

*

Jean-Elie habite à Molliens au bois.

JEAN-ELIE – J’ai planté 200 pieds. C’est parti d’une idée saugrenue pendant le confinement. On a appelé ça « La vigne aux lapins » parce qu’il y a plein de lapins. J’ai été obligé de mettre des barrières.

Je fais deux tiers de rouge et un tiers de blanc. J’ai trouvé un viticulteur sur internet, on a passé quatre heures au téléphone. Il est question qu’il vienne.

La première année mes cèpes sont montés à 1m50, la deuxième à 1m et cette année, 80 cm. Je suis perplexe.

Cette année, le blanc a avorté. Il a fait trop chaud.

MAXIMILIEN – Peut-être que le porte-greffe n’est pas adapté au sol.

JEAN-ELIE – Je ne pense pas. C’est du calcaire en dessous.

MAXIMILIEN – Ce serait intéressant de savoir exactement ce qu’il y a dans le sol. Si le porte-greffe n’est pas adapté, en descendant de plus en plus dans le sol, la vigne s’étouffe. Souvent à cause du calcaire actif. Il n’y a que deux porte-greffes adaptés dans ce cas. Si le porte-greffe n’attrape pas le fer, il aura du mal.

JEAN-ELIE – La première année j’avais un grand sourire, mais là…

MAXIMILIEN – À mon avis c’est pas grand-chose. Il faudrait faire une analyse. Et si le porte-greffes ne s’y prête pas, vous pouvez injecter du fer. Par contre, les grappes sont initiées avec un an d’avance. Donc si vous avez une mauvaise année, vous n’aurez pas de grappe l’année suivante. En tout cas c’est amusant de planter comme ça. Il ne faut pas s’arrêter à un problème.

JEAN-ELIE – On va peut-être replanter pour atteindre un hectare.

MAXIMILIEN – Oui, 200 pieds c’est peut-être un peu juste pour vinifier.

JEAN-ELIE – Je travaille à Paris. Je ne suis là que le week-end. J’ai des anges-gardiens mais ils sont très occupés.