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Démarche : LE FAIRE DE LA FORGE ?

≪ NOS HOMMES ≫, faisons des pancartes

Exposition

SAMEDI

  • – Il ne fait pas beau aujourd’hui, on n’a pas de chance.
  • – On ne peut pas choisir le temps.
  • – C’est pas comme les hommes…
  • – Donc ici c’était un casino. Vous l’avez connu en casino ?
  • – Non.
  • – Il y a quelques commerces quand même.
  • – Oui, le centre-ville a été refait.
  • – Avant on venait ramasser les moules en famille. C’était vivant.
  • – Le tourisme s’est développé sur d’autres communes, alentour. Ici ça met plus de temps à démarrer. Tout se délabrait…
  • – Il y a combien d’habitants à Ault ?
  • – Environ 1500. L’été vous pouvez ajouter un zéro.
  • – Ah quand même…
  • – Le COVID et le confinement, ça a marqué une accélération des ventes de maison.
  • – Nous on a arrêté de venir à Ault en 94, quand d’Abdelkader Rabah a été assassiné. Il a été jeté d’une falaise après une altercation. Ça a fait beaucoup de bruit à Amiens.
  • – Pas trop ici. On n’en parlait pas.
  • – J’ai bricolé ça.
  • – Les autres piquets sont comment ?
  • – On installe une chaise pour agrafer ?
  • – Je peux m’installer par terre, il faut juste que je sois près d’une prise électrique.
  • – On se met là pour agrafer ?
  • – Tu vois, il y a un système de crochets sur les piquets, il faut juste qu’on suspende des ficelles pour accrocher.
  • – Est-ce qu’il y a de la couture à faire ?
  • – Il y a cette pancarte qui n’a pas encore été cousue sur un fond.
  • – Pas mal. On va coller un peu de double face en haut de la pancarte.
  • – Allez, on dit que celle-là est finie.
  • – Magnifique.
  • – Il faut remettre un coup d’agrafe pour se balader.
  • – Celle-là elle est difficile à lire sur le fond blanc.
  • – LE MIEN IL EST 3 MÈTRES SOUS TERRE. Oui on a du mal à lire 3 mètres.
  • – On peut glisser une dentelle rose foncé entre la pancarte et le fond.
  • – Oui c’est mieux.
  • – Il a beau être six pieds sous terre, il faut qu’on le voie.
  • – Tu peux coudre une bande de tissu derrière pour glisser un bambou ?
  • – Oui, j’en ai pour deux secondes. Elle est bien cette machine à coudre, la canette est pratique. Sur les machines récentes, il faut tout un matériel sophistiqué.
  • – Ah zut, la couture a déformé le texte.
  • – Il revient me hanter…
  • – Je ne me suis pas méfiée. Je vais couper les points pour remettre les lettres en place. Il ne va pas nous résister longtemps…
  • – Et hop, un petit point de colle.
  • – Vas-y, cramponne-le.
  • – Il ne veut pas me quitter ha ha ha…
  • – Tu croyais être tranquille…
  • – Il est décédé il y a longtemps ?
  • – Trois ans.
  • – Je ne savais pas. On se côtoyait moins à l’époque.
  • – On l’a su après qu’il avait été enterré.
  • – Sa sœur aussi est décédée. On ne l’a même pas su.
  • – Oh regarde, ils ont accroché l’affiche avec toutes les participantes des Fées Diverses.
  • – Le monde qu’on était par rapport à aujourd’hui…
  • – Il y en a qui sont décédées.
  • – Ah bon ?
  • – Oui, Henriette, Martine…
  • – Henriette, je la revois dans le roman-photo avec sa robe de princesse…
  • – Nicole me téléphone de temps en temps. Elle est souvent hospitalisée.
  • – Maryline est partie ailleurs.
  • – Marie-Reinette, je le voyais quand j’allais chez le kiné. Mais je n’y vais plus, il est à la retraite.
  • – Une que je n’ai pas vue depuis longtemps, c’est Sandrine.
  • – Elle est partie sur la ville d’Eu. Mais quand on va à la ville d’Eu, je ne tombe jamais sur elle.
  • – Sandrine ne venait pas pour les chaises ou le roman photo. C’était avec Cardan.
  • – Ah oui.
  • – J’ai gardé tout ce qu’on a fait avec Cardan.
  • – On a fait Leitura Furiosa ensemble aussi.
  • – Oui. Les Filles de la côte.
  • – C’est resté. On nous appelait comme ça après.

Betty a apporté Bienvenue chez nous, un livre de photos réalisé par Chloé, sa fille, il y a une quinzaine d’années. Beaucoup de photos ont été prises chez Marie-Françoise.
À l’intérieur, on peut lire :
Je suis la reine du crochet,
une fois la machine en route on en m’arrête plus :
bride, demi-bride, maille serrée
le temps passe et l’ouvrage se fait
point de coquille, coquillage
je me crois sur la plage
parfois pour changer je brode
selon le dessin je m’évade
naissance, mariage
en espérant un jour
broder des mots d’amour
Marie

  • – Des mots d’amour, j’en ai pas brodé beaucoup.
  • – Ça il faut l’écrire.Je peux vous interviewer une par une ? Pour que vous me racontiez les Fées Diverses à l’époque…

DIMANCHE

Valérie colle une affiche de l’exposition sur son ciré et part en ville avec Marie-Claude pour faire venir du public.

  • – Grande exposition aujourd’hui au Petit Casino , rue de Saint-Valery, des œuvres réalisées par des femmes d’ici sur leurs hommes…
  • – Ah oui, tout le monde est parti, ils vont revenir pour le déjeuner.
  • – Venez en famille cet après-midi…
  • – Oui on va voir.
    (un homme entrant dans sa voiture)
  • – Des hommes, j’en ai pas et j’en veux pas.
    (une femme promenant ses deux chiens)
  • – On passera avant de repartir cet après-midi.
    (un couple en promenade)
  • – On est belges… Flamands… Bonne chance !
    (un couple de Flamands en vacances)

Dans l’exposition.

  • – C’est à l’ordre du jour, ce thème-là.
  • – On sent l’évolution dans leur phrasé. Elles n’ont plus envie de se laisser faire.
  • – Vous, vous auriez écrit quoi ?
  • – On est mariés mais je veux garder mon indépendance. On ne se subit pas. C’est ce qu’on essaie d’inculquer aux enfants.
  • – Bon, on va reprendre la route. On est tombés amoureux d’Ault. On arrive le samedi midi et le dimanche, il faut repartir… Pour quelques années encore…
    (couple croisé le matin au centre-ville)
  • – Venez voir madame, une expo faite par des dames !
  • – Par des dames, ah bon.
    Elle entre.
  • – J’ai été intriguée par le titre de l’expo.
  • – Quelle pancarte vous parle le plus ?
  • – LE MIEN IL EST 3 MÈTRES SOUS TERRE.
    La visiteuse regarde les textes imprimés en carnets.
  • – Ça, ce sont les textes que Denis a écrits.
  • – Il note toutes les bêtises qu’on dit.
  • – Il est assis dans son coin, on l’entend pas…
  • – Ça peut être pire qu’un enregistrement.

Un autre couple entre et visite l’expo.

  • – Qu’est-ce que vous auriez écrit, vous ?
  • – Je dois répondre en présence de mon mari ?
  • – SI J’AVAIS SU, c’est un peu dur.
  • – C’est du vécu.

Visite de la bibliothécaire de la Médiathèque de Friville, là où nous avons préparé l’expo depuis janvier.

  • – Ça rend pas mal du tout, les pancartes.
    Elle s’approche du poster présentant les Fées Diverses avec leur chaise.
  • – Vous avez la même tête qu’il y a quinze ans, avec des cheveux gris.
    Je pense à quelque chose : il me manque une artiste pour l’exposition du Mois de la femme à la médiathèque, c’est du 3 au 28 mars 2025, ça vous dirait de suspendre les pancartes dans le hall d’entrée ?
  • – Ils sont quand même drôlement beaux, nos panneaux.