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Démarche : HABITER, habiter la nature,

Léonce Vilbert

[- Rencontre des Alouettes à La Forge avec Léonce Vilbert de Rubempré. Écrit de Denis Lachaud. Avec la photographie d’Eric Larrayadieu -]

Léonce Vilbert à Rubempré.
©Eric Larrayadieu : Léonce Vilbert sur une des parcelles sur lesquelles ont été plantées 20.000 arbres : des hêtres, des châtaigners, des chênes, des merisiers, des tilleuls, des noyers, une dizaine d’essences pour répartir les risques. À 93 ans, Léonce Vilbert est administrateur de GRIGNON CAMPUS pour accélérer la transition écologique des systèmes agricoles et alimentaires, et, créateur-acteur de MCA – Marcher Connaître Agir – pour des actions environnementales et humanitaires pour les enfants marocains

Je suis né en 1930 à Rubempré. Nous habitions rue La Haut. Mon parrain Richard Vilbert avait été maire du village puis conseiller général. Quand il est décédé, la commune a décidé de donner son nom à mon ancienne rue. À Rubempré avant 1800, beaucoup d’ habitants s’appelaient Vilbert.

Ma mère est née en 1893 et décédée en 1994. Son nom de jeune fille était Vilbert Casilda et elle a épousé Laurent Vilbert

Mes parents ont commencé avec 15 hectares et deux chevaux.

Pendant toute sa vie de paysanne, ma mère a écrit sur des bouts de papier. Ma femme lui a offert un cahier. Huit jours plus tard, elle en avait rempli une bonne partie. Finalement, elle en a rempli douze. Mon fils en a fait un livre.

Elle a recensé quelquefois sept générations dans la même famille, elle a fait l’inventaire de chaque maison du village et recensé tous les cultivateurs de Rubempré. En 1950 ils étaient 52. Aujourd’hui il ne sont plus que 3.

Ce que je vais vous raconter sur mon orientation scolaire, on a du mal à l’imaginer aujourd’hui. Un soir de 1942, mon instituteur est venu à la maison.

– J’ai inscrit Léonce au lycée, je viens vous faire signer des papiers.

Mes parents interloqués, ont d’abord refusé, ce n’était pas du tout ce qu’ils avaient prévu, mais l’instituteur n’en a pas démordu.

– Je lui ai trouvé une pension de famille, il ne sera pas tout seul, il y a un enfant de son âge et la pension n’est pas chère, vous pourrez payer avec des lapins, des œufs des légumes ( c’était l’Occupation et les tickets de rationnement ). Je l’ai inscrit directement en 5e parce qu’en 6e il va s’embêter. Il faudra qu’il rattrape un peu en latin et en anglais, mais j’ai demandé à l’abbé Defrance le curé de Rubempré qui est d’accord pour lui donner des cours de latin pendant les vacances.

L’instituteur avait tout prévu Bien sûr il ne m’avait pas prévenu à l’avance. J’ai découvert que j’allais aller au lycée ce soir-là. C’était un personnage, un homme direct, franc, qui travaillait pour le bien de ses élèves. Quand il en envoyait dix passer le Certificat d’Études, il faisait accrocher dix bouquets de fleurs sur la grille de l’école. Et tout le monde avait intérêt de réussir l’examen. Chaque matin on découvrait la maxime du jour au tableau. Je crois me souvenir d’une concurrence entre ses cours de morale et le catéchisme du curé. Il faisait autorité dans le village. Il réglait les histoires de bornage entre les cultivateurs, voire de scènes de ménage….

Ma mère a signé.

J’avais 12 ans, mon destin a été scellé.

J’ai quitté la terre de Rubempré. Cela n’avait rien d’évident, mon père avait une maladie de cœur et fait un début de paralysie, je travaillais dans les champs, abandonner ma main d’œuvre gratuite, était un «  sacrifice » pour ma mère.

Moi j’aimais bien l’école, mais j’aimais bien aussi les champs et j’ai choisi de faire des études agricoles

J’ai donc fait une carrière d’intellectuel mais je ne me suis pas complètement éloigné de la terre. J’ai préparé l’Agro, en 1950 je suis entré à l’Ecole Nationale Supérieure d’Agriculture de Grignon, près de Versailles et je suis devenu ingénieur. Cette école a été récemment transférée à Palaiseau et rebaptisée Agro Paris Tech. Le site de Grignon a été mis en vente pour qu’un promoteur en fasse des logements de luxe. En 2015, j’ai pris la tête d’un groupe d’anciens élèves de Grignon pour m’opposer à cette vente. Elle a été annulée. On discute avec l’Etat pour le transformer en centre de recherche sur d’autres formes d’agriculture et de préservation de l’environnement, un centre international.

On se réunit en C.A. tous les mardis.

Après avoir obtenu mon diplôme d’ingénieur, je suis parti faire mon service militaire. j’avais épousé une fille de ma promo, elle a tout de suite trouvé du travail à la Direction des Services Agricoles de Versailles. Ils m’ont embauché par la suite parce qu’ils ne voulaient pas la perdre. Je n’y suis resté que six mois, en 1955. Il y avait à l’époque une bagarre entre les apiculteurs et les agriculteurs qui traitaient leur colza. J’ai été chargé de trouver avec eux la bonne date pour que les apiculteurs enferment leurs abeilles le temps que les agriculteurs traitent. On a défini une date, je l’ai rapportée à ma hiérarchie, le préfet avait pris une circulaire dans ce sens, mais quand l’arrêté a été signé, le colza n’était plus en fleurs. J’ai compris que la finalité réelle de mon travail était de compter les électeurs potentiels d’un côté et de l’autre. J’ai quitté l’Administration pour retourner à la terre.

J’ai été embauché comme chef de culture dans une grosse exploitation. En fait, j’ai plus développé des projets de travaux publics sur l’exploitation. Irrigation, drainage, construction de bâtiments agricoles… J’y ai pris goût. Après trois ans, j’ai racheté la maison du médecin de Rubempré et je suis revenu à la terre picarde. Mais je n’ai pas repris l’exploitation familiale. Entre temps, ma mère qui avait tenu la ferme l’avait cédée en 1955, et c’était difficile de faire vivre une famille sur cette surface. Nous avons eu 7 enfants et ma femme s’est arrêtée de travailler pour les élever

J’ai récupéré des bâtiments et des terrains et en 1959 j’ai créé une entreprise d’espaces verts, de terrains de sport et de voirie. Je travaillais toujours la terre mais sans produire, ce n’est que bien plus tard, quand les enfants ont grandi que ma femme a démarré une pépinière de végétaux d’ornements qui fournissait mon entreprise.

          Mon entreprise a très vite progressé. Trop vite. J’ai eu beaucoup de travail. J’ai arrêté en 1985 et cédé à l’entreprise Desmidt , du Pas de Calais . Quand elle s’est arrêtée. Je suis parti en pré-retraite.

Mais la grand réussite de notre vie, ce sont nos sept enfants. Une de nos filles a fait Grignon. Récemment, elle m’a dit : On n’a pas repris ton entreprise parce que à nos yeux, tu travaillais trop. On ne pensait pas alors que tu prenais tant de plaisir à travailler.

Entre temps je m’étais mis à la randonnée.  Une année mon guide m’a emmené marcher dans l’Atlas, au Maroc. À cette époque-là, une tempête a provoqué un torrent de boue qui a tué 3000 personnes dans l’indifférence générale. C’était un jour de fête des moissons. Quand les gens ont vu la pluie arriver ils sont montés en voiture pour se mettre à l’abri de la foudre et de la pluie mais le torrent de boue et de rochers a englouti les véhicules par centaines. Le déboisement était responsable. De là est née ma vocation de forestier.

Je suis allé voir le gouverneur et sommes convenus

*de reboiser l’Atlas marocain. Quand ils étaient jeunes, les plus vieux que j’ai interrogés ne voyaient pas les chèvres sur la montagne en face de leur village , elles étaient sous les arbres. Tout a été déboisé pendant le XXe siècle pour vendre le bois, construire des bâtiments, se chauffer, faire la cuisine.

*de former les écoliers, dans les écoles. Les adultes, c’est peine perdue, ils sont contre le reboisement qui leur enlève des zones de pacage

*de former les jeunes à d’autres métiers que celui de berger. Certains douars du Haut Atlas n’ont ni l’eau, ni électricité ni route pour les touristes, il y a là de nouveaux métiers à proposer

Et c’est de cet entretien là, qu’en  1995 nous avons créé l’association Marcher Connaître qui est toujours active, mais les résultats ne sont pas formidables.  On a bien formé des électriciens, aidés par l’ancien directeur du CFA d’Amiens qui est venu avec des moniteurs pour que les jeunes apprennent à installer l’électricité dans les maisons des plus pauvres. Mais pendant le cours un avion passait, rempli de touristes, on les voyait arriver deux heures plus tard dans notre montagne, à Imlil, une sorte de Chamonix local, les jeunes abandonnaient le cours pour aller porter les valises et récolter un pourboire facile.

Le tourisme est pire que la colonisation disent certains marocains

Avec la COVID on a été bloqué pendant deux ans. Mais on a repris nos activités.

L’ossature de l’association, ce sont les anciens de l’entreprise Vilbert-Marbotte, qui sont venus  travailler au Maroc et ont pris maintenant les commandes de MCA

Autre chapitre : Comme je suis très déçu avec l’affaire de Grignon de nos hommes politiques, de nos ministres, et comme je veux essayer de faire quelque chose pour le climat, d’agir à ma petite échelle, j’ai décidé de transformer en bois les 16 hectares de terre qui viennent de mes parents. Cet hiver 2022 nous avons planté 20.000 arbres : des hêtres, des châtaigners, des chênes, des merisiers, des tilleuls, des noyers, une dizaine d’essences pour répartir les risques – les hêtres sont malades en Normandie à cause du réchauffement climatique, les chênes de la forêt de Chantilly sont malades aussi…

Reboiser, c’est la dernière grosse opération de ma carrière. L’objectif est d’assainir l’air, d’enrichir le sol, de limiter l’érosion, de préserver l’eau de la nappe phréatique, de diversifier le paysage….

Nous les ingénieurs agronomes, on a fait passer les rendements de 15 quintaux à 110. Alors je m’interroge.

Est-ce qu’on a bien fait ?

Est-ce qu’on a réussi notre carrière en multipliant les  rendements par 10 ?

Théoriquement c’est formidable. Mais, j’ai traversé la France à pied, j’ai vu à l’allure d’un marcheur l’état dans lequel est notre pays, c’est bien cultivé, mais c’est partout comme à Rubempré, sur 100 fermes, 95 ont été abandonnées.

Je n’ai pas envie de mourir car je suis trop curieux de savoir comment seront les gens dans 50 ans.

J’ai entrevu le moyen-âge, j’aimerais savoir où on va.

Action réalisée

Auteur.e.s
Denis Lachaud
Eric Larrayadieu

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- Rencontre avec Léonce Vilbert (22)