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Démarche : HABITER, habiter la nature,

Maryse et André Soirant

[- Rencontre des Alouettes, à La Forge le 1 mars 2023. Écrit de Denis Lachaud. Avec les photographies d’Eric Larrayadieu -]

Molliens-au-Bois, Maryse revenant du potager
André, dans la serre du potager et dans la cave à cidre

MARYSE – Je viens du milieu agricole.

Mes parents étaient cultivateurs. On disait cultivateurs à l’époque.

J’ai connu le début des machines, j’ai connu le dernier cheval de labour de mon grand-père, le premier tracteur de mon père, un petit Pony rouge.

C’était un gros progrès.

Il a adapté une moissonneuse-lieuse sur le tracteur, ça faisait des gerbes avec le grain au bout, on les mettait dans des granges, ils faisaient aussi des meules.

En septembre octobre, la batteuse arrivait de Rainneville. Le propriétaire de la batteuse amenait des repris de justice, des anciens légionnaires, pour travailler avec lui. Ils arrivaient un lundi matin, affamés, ils avaient picolé tout le week-end, maman n’aimait pas ça, nous non plus.

Ils étaient là pour battre ce qu’il y avait à battre dans le village.

Après mon père emmenait tout à la coopérative.

Puis sont arrivées les moissonneuses-batteuses.

Encore un gros progrès.

Mes parents faisaient aussi de l’élevage.

On nourrissait les bêtes avec des betteraves, tout se faisait à la main, il y avait des Portugais qui venaient biner, le garde champêtre et sa femme aussi, ils se levaient à 5h du matin pour le faire, puis ils faisaient leur journée de travail à la suite.

J’ai demandé à biner les betteraves moi aussi, j’aimais bien, j’étais contente parce que je bronzais, c’était la mode, j’allais biner en short.

À ce moment-là j’avais grandi.

Paulette, la femme du garde champêtre, venait inspecter mon travail.

Puis la betterave a été remplacée par l‘ensilage

Le lait a beaucoup changé.

Il a mal fini le petit Pony rouge, papa l’a prêté, il a dévalé la pâture, les jeunes ont eu le réflexe de sauter, le tracteur a été complètement bousillé.

Après mon père a eu un Ferguson, rouge aussi.

À cette époque il y avait beaucoup de solidarité.

Quand une vache allait vêler en pleine nuit, les voisins étaient prévenus, ils arrivaient qu’on les réveille pour aider la vache à vêler, il y en avait un qui aidait à faire sortir le veau et deux autres qui tiraient.

Quand c’était fini, ils prenaient un café ensemble avec la bistouille, une goutte de calva dans le café.

Papa aidait tout le monde.

Il a aidé un voisin qui avait un cancer, pour qu’il s’en sorte. Il l’aidait à la paille.

Quelqu’un demandait, il y allait.

On lui rendait.

Quand les camions de semences et d’engrais arrivaient, tous les voisins venaient aider à décharger les sacs.

Ado, j’étais aide familiale chez mes parents, j’ai toujours aimé, ça m’a pas dérangé, la binette, décharger les ballots de paille, conduire le tracteur, reculer avec les barils d’eau à amener aux vaches.

Ma sœur, pas du tout.

Quand-même, j’aimais mieux la terre que les bêtes.

JEAN-PIERRE – Moi je pensais que tu étais comme ta sœur.

MARYSE – Ah non.

JEAN-PIERRE – Pourquoi tu n’as pas repris la ferme ?

MARYSE – À l’époque, c’était destiné aux hommes, on n’y a pas pensé. Après coup on s’est dit que c’était une bêtise.

MARYSE – Quand je me suis mariée, j’ai continué un an. Après les enfants sont arrivés.

À  cette époque, le travail commençait à être différent, ils commençaient à traiter, c’était le début des produits phyto, en 1960-65.

Et finalement mon père a cédé sa ferme. Il y avait un gros cultivateur qui voulait tout louer, mon père n’a pas voulu, il a voulu faire plaisir à tous ceux qui avaient demandé.

Il aimait faire plaisir.

Il n’aimait pas les vantards, on lui demandait « combien tu fais à l’hectare ? », il répondait « moi je travaille pour me distraire ».

Il n’aimait pas cette logique du rendement.

Mon jardin, c’était une pâture avant.

J’en ai hérité quand mes parents ont pris leur retraite.

Nous avons démonté la pâture, retourné la terre.

J’ai visité beaucoup de jardins, je me suis documentée et j’ai commencé, massif par massif, c’est une passion.

Mes parents n’étaient pas du tout matérialistes. Ils ont tout fait pour qu’il n’y ait pas de dispute. Ils nous ont fait un bois à chacune

*

ANDRÉ – Moi c’est totalement différent.

Je suis né à Naours, j’étais le deuxième sur cinq enfants.

Je suis allé à l’école de Naours jusqu’à quatorze ans.

Mes parents ont commencé avec un cheval, deux vaches et deux hectares et demi dont ils avaient hérité en se mariant.

Ils ont loué des terres, en dessous de vingt-cinq hectares c’était pas viable.

Mon frère aîné n’avait pas la santé, comme on disait, alors j’aidais.

À dix ans j’aidais déjà mes parents à la ferme.

À douze ans je faisais des remorques de paille, j’ai remplacé mon grand-père.

Après quatorze ans j’ai été interne à Doullens en lycée technique.

J’y allais à vélo.

Dix-sept ou dix-huit kilomètres.

Il m’est arrivé d’être tout blanc de gel.

Quand il neigeait, mon père m’emmenait en Juva 4.

J’ai passé un C.A.P. d’ajusteur tourneur-fraiseur. J’ai voulu continuer alors je suis allé en seconde au lycée technique à Amiens.

Pour la ferme, j’ai fait beaucoup de soudure, par exemple j’ai construit une salle de traite ambulante.
Un jour je suis allé au lycée en tracteur pour aller chercher un outil que j’avais fabriqué.

Petite péripétie.

J’ai eu un brevet de technicien en chaudronnerie.

Après je suis entré dans l’entreprise Dalle, la famille de Louise Dalle qui est venue parler ici l’an dernier, une entreprise de betteraves.

On faisait beaucoup d’arrachage de betteraves dans toute la région, puis on allait jusqu’en Seine-Maritime.

J’ai arrêté début 74.

En février j’étais soldat à Villacoublay.

MARYSE – Ça c’est une période difficile de sa vie.

ANDRÉ – On était 2000 dans la journée à la base, on était plus que 300 le soir. Les autres rentraient chez eux, dans la région parisienne.

Le week-end je rentrais en stop.

C’est comme ça que je me suis fait faucher par une voiture.

J’ai rencontré Maryse en août de cette année-là. Elle était toute bronzée.

Après l’armée, Mr Dalle voulait me reprendre mais j’ai refusé, j’aime bien l’aventure, je suis entré dans une entreprise de construction de machines d’arrachage de betteraves.

C’est là que j’ai vraiment quitté le monde agricole.

En 76 on s’est mariés.

JEAN-PIERRE – L’année de la sécheresse.

ANDRÉ – Tout à fait, et le jour du mariage il a plu.

J’avais 21 ou 22 ans. Mes parents m’avaient bien encouragé à prendre une autre voie, que l’agriculture.

Mes parents avaient quarante-cinq vaches et quarante-deux hectares de terre, ils en louaient les trois-quarts.

En 1965 à Naours, il y avait soixante-quinze cultivateurs.

Aujourd’hui ils sont cinq.

À Molliens j’ai construit la maison avec l’aide de mon beau-père et de mon voisin Jean-Pierre. On a fait 80% du travail.

Puis j’ai été recruté pour partir aux Philippines installer des gazogènes, on m’a fait miroiter que je pourrais monter dans la hiérarchie par la suite.

J’y suis allé deux fois en 1983, deux mois au début de l’année, un mois et demi à la fin.

MARYSE – J’avais peu de nouvelles, il n’y avait pas de portable, le courrier n’arrivait pas. Heureusement j’ai un bon tempérament.

ANDRÉ – L’entreprise a bien démarré, elle avait conçu un gazogène adapté.

Elle a fini par être rachetée par des Finlandais.

On fabriquait aussi des machines à compacter. Ça faisait des bûches.

En 87-88 j’en ai eu marre de cette vie avec des chantiers à gauche et à droite en France.

J’ai changé de métier pour rester ici.

J’ai bossé dans l’aide sociale à l’enfance.

Je me suis occupé de l’entretien du bâtiment et du parc automobile.

Jusqu’à la retraite.

Alors j’ai acheté une grange pour construire des appartements, faire du locatif.

MARYSE – On a toujours aimé la vieille pierre.

JEAN-PIERRE – Quand j’étais maire, j’ai traîné les pieds pour répondre à la demande

de Marc-André pour avoir le permis de démolir cette grange, demande qui a été toujours orale. C’est ce qui a permis qu’elle soit encore debout.

MARYSE – Il en voulait un prix dérisoire, il nous proposait la pâture voisine, on a dit non, on n’en avait pas besoin, on a eu tort, notre fille l’a achetée quelques années plus tard, beaucoup plus cher.

Je dois dire que ce projet m’a inquiétée, il y avait beaucoup de travail, il fallait avoir la santé.

ANDRÉ – Finalement on s’en est sorti.

ANDRÉ – Depuis que je suis à la retraite, j’aide Maryse au jardin (potager).

MARYSE – Il fait les gros trucs, il passe le motoculteur. Moi je bine et je plante.

ANDRÉ – je n’ai pas le droit de mettre les semences.

Je m’occupe des fruitiers et du bois planté par mon beau père.

MARYSE – Il m’aide aussi à tondre dans le jardin à côté de chez nous (paysager).

ANDRÉ – Depuis 2014 je suis sage, je mène une vie cohérente, plus de gruyère, j’ai une vie sociale au sein du village, je prends le temps de vivre.

Denis Lachaud

Action réalisée

Auteur.e.s
Denis Lachaud
Eric Larrayadieu

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