Démarche :
HABITER, habiter la nature,
Renaud Flippe
Technicien inséminateur
[- Écrit de Denis Lachaud, 26 éme Rencontre des Alouettes à La Forge, le 7 décembre 2023.
Et photographies d’Eric Larayadieu sur un lieu de travail -]
- J’ai 35 ans, célibataire, sans enfants. Je suis né en région lilloise, mes parents sont originaires d’Arras. Ma mère travaille à la Banque Postale, mon père est retraité SNCF. Dans ma famille, je suis seul en agricole.
J’ai toujours aimé les animaux. Quand j’étais en troisième, j’ai regardé un CD Rom sur les orientations possibles. Tout ce qui concernait les animaux. Il y avait le cirque, les parcs animaliers… J’ai vu une affiche sur l’école de Radinghem, un campus agro-environemental dans le Pas-de-Calais. On est allés à la journée portes ouvertes. J’ai décidé que j’irais là. J’ai préparé un bac STAE (Sciences et technologies de l’agronomie et de l’environnement), puis un BTS productions animales à l’Institut de Genech, près de Lille. Je me demandais ce que j’allais faire après.
La société Gènes Diffusion embauchait, j’ai été reçu en entretien. Je m’étais renseigné sur le Contrat Spécialisation Lait. On m’a conseillé de suivre cette formation et de repostuler l’année suivante. C’est ce que j’ai fait. Là j’ai suivi une formation en apprentissage. Je l’ai trouvée dans les pages jaunes. Le contrat a été signé en juillet, j’ai démarré début septembre. C’était sur une exploitation avec deux associés et l’épouse d’un des deux qui s’occupait de la compta et des déclarations de naissances. Il y avait 80 vaches laitières, 100 charolaises et un élevage de 200 taurillons par an.
Les animaux sont référencés. On déclare la naissance en donnant le numéro de la mère. Si c’est le fruit d’une saillie naturelle on déclare le taureau et si c’est une insémination artificielle, on précise de quel animal venait la paillette.
Après un an j’ai repostulé à Gènes Diffusion et j’ai été embauché comme technicien inséminateur. Je suis arrivé dans la région et j’ai commencé le 28 août 2009 sur le bassin picard. Entre la fin août et la mi-octobre j’ai été en formation en alternance. J’ai appris à inséminer des vaches. J’ai appris comment fouiller, attraper un col, passer un col, préparer mes pistolets.
On fouille une vache pour savoir si c’est plein (par fouille rectale). On fouille à partir de deux mois. À l’échographie, quand la masse est trop importante on ne voit rien. On ne fait pas de fouille vaginale pour des raisons sanitaires. On passe par le rectum pour la fouille car le vagin est juste en dessous
J’insémine la vache quand elle est en chaleur. Les chaleurs durent environ 24h. 18h pour une génisse. Une fois tous les 21 jours. L’éleveur m’appelle et je viens. On assure le service 363 jours par an (sauf Noël et jour de l’an). On peut aussi déclencher les chaleurs en posant un implant de progestérone dans le vagin, par exemple pour une vache qui a un veau au pis (elle n’a pas de chaleur si on ne déclenche pas). C’est la technique d’induction de chaleur. La pose de l’implant est suivie par une injection de prostaglandine. On retire l’implant, on insémine 72h plus tard et dans 70% des cas, c’est plein.
Pour l’insémination, je passe le bras par le rectum, j’attrape le col de l’utérus, je l’enfile sur le pistolet. Je passe juste de deux ou trois millimètres.
- Qui décide de la semence ?
- Je conseille l’éleveur, après ça dépend de ce qu’il veut obtenir. Une paillette peut coûter de 9 à 75 euros selon le taureau et si la dose est sexée ou pas., si c’est une dose conventionnelle ou une dose de croisement. On obtient 350 paillettes à partir d’un éjaculat de taureau. On a des catalogues. On les présente à l’éleveur. On rentre ses objectifs dans la machine, on la laisse faire (par exemple elle évite la consanguinité) et elle propose trois taureaux, ceux qui correspondent le mieux aux critères de sélection. Il y a une part commerciale, mais mon intérêt c’est de fidéliser le client, pas de faire un one shot.
Les paillettes sexées, ça donne 90% de réussite. On c’est aperçu que le spermatozoïde Y est plus léger que le spermatozoïde X, c’est ce qui permet de les trier.
Il y a de plus en plus de données pour la sélection, on a intégré le génome de l’animal, le génome du microbiote, je ne peux pas connaître tout par cœur, je dois me reposer sur l’informatique.
On peut aussi faire de la repose d’embryons. On récupère les œufs, on vérifie la viabilité, on les replace sur des porteuses ou on les congèle. Ça se vend. Ma société le fait. Pas moi.
Il faut jongler entre le bien-être de l’animal et sa rentabilité. Une vache, il faut qu’elle ait un veau au pis et un dans le ventre. On raisonne en production par jour de vie. Une vache improductive un jour, ça coûte très cher. Sur sa carrière en laitier, une vache peut faire 4 ou 5 veaux. Après elle part en steack haché.
Je suis devenu inséminateur par hasard. J’ai vu de la lumière, je suis entré. J’ai appris à aimer mon boulot. On n’a jamais fini d’apprendre avec le vivant. Toute la partie sélection, je me suis pris au jeu. Je me déplace tout seul, ça se passe bien. Je forme des jeunes aussi.
Au départ je voulais m’installer comme exploitant agricole, mais j’ai pas un demi million à la banque.
Au niveau national, il y a nous et sinon il y a un groupe breton. Gènes Diffusion, c’est six ou sept coopératives, de l’Alsace à la Vendée en passant par la Bretagne. Avant, les lois zootechniques avaient défini des zones historiques, on ne travaillait pas en concurrence. Mais c’est terminé depuis 2019, on peut se faire la guerre.
On ne fait pas ce qu’on veut, on dépend de règlements zootechniques en tant qu’entreprise de sélection et de mise en place.
Nous, notre principal concurrent, il a 4 pattes. Quand l’insémination ne fonctionne pas, l’éleveur met le taureau dans le champ.
Notre coopérative pèse 70% des parts dans la Société Anonyme. C’est la plus lourde en chiffre d’affaires. Elle achète des taureaux et les met en production. Un reproducteur de 18 mois prêt à produire, ça peut monter jusqu’à 35.000 euros.
Le danger pour moi, ce sont les animaux qui chargent, les coups de patte. Le moment le plus dangereux de l’année, c’est quand les vaches sont en pâture. Elles sont énervées par les mouches. Une vache qui s’énerve, elle voit trouble. Elle ne vous voit plus, elle fonce tout droit devant.
Il y a des animaux méchants, des animaux peureux. Plus on est près de la vache, moins c’est dangereux. J’ai été chargé deux fois. J’ai pris des coups de pattes. Dans un genou, dans les cuisses. Ce sont des fautes d’inattention. Il faut être prudent, mais si on est trop prudent on est pris pour un froussard. Il faut qu’il y ait un danger imminent pour qu’on n’y aille pas. Quand on est méfiant, on passe un licol à la vache, on fait tourner sa tête, ça lui retire beaucoup de sa force. La vache a du mal à tenir debout. La tête tournée, ça l’immobilise, elle ne veut pas perdre l’équilibre.
Action réalisée
Auteur.e.s Denis Lachaud Eric Larrayadieu
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