Démarche :
HABITER, habiter la nature,
Richard Vilbert, agriculteur (12)
[- Rencontre des Alouettes avec Richard Vilbert, agriculteur bio de Rubempré. À La Forge, le 2 mars 2022, écrit de Denis Lachaud. Photo d’Eric Larrayadieu -]
▼
Je suis passé en bio en 2009.
Ça a été progressif. J’ai converti 10% des terres, puis 20%, 30… Quand je suis arrivé à 50%, j’ai tout passé en bio.
Avant, j’avais commencé par supprimer les insecticides, les oxydes. Je ne mettais plus que des engrais organiques.
En bio, on utilise des fientes de poules comme engrais. On plante du trèfle dans le blé pour ramener de l’azote et faire de la protéine. Ça doit passer par une légumineuse.
Faire de l’azote consomme beaucoup de gaz carbonique. C’est une bonne chose. On améliore la qualité de l’air en capturant le carbone.
La potasse, il y en a plein la terre.
Pour le colza, en 2000, on avait acheté une presse et un filtre. Le but, c’était de faire de l’huile pour les moteurs.
Et en 2009, j’ai décidé de faire de l’huile alimentaire.
Quand je suis passé en bio, j’ai été envahi de chardons les deux premières années. Le chardon pousse parce que le sol a été tassé. Il restructure le sol.
Il y a des plantes bio-indicatrices, on observe ce qui pousse et on est renseigné sur les carences du sol.
Les plantes ne poussent pas par hasard, si on laisse un champ nu pendant un an, les plantes adventices se remettent à pousser, même si la terre a été traitée pendant des années et 50 ans plus tard, on a une forêt.
La luzerne descend encore plus profond que le chardon, son pouvoir racinaire est plus fort. J’ai donc planté de la luzerne.
Quand je suis parvenu à éradiquer le chardon, il y avait beaucoup d’azote dans le sol. Or, le colza est gourmand en azote.
Le colza, c’est compliqué à faire en bio, à cause des attaques d’insectes. Les fleurs de colza sont les premières au printemps, donc il se fait attaquer. Il faut semer tôt pour avoir de gros pivots qui résistent aux attaques des insectes. S’ils sont trop chétifs, on ne peut pas échapper aux insecticides…
J’ai fauché la luzerne en juillet, j’avais un mois d’avance.
En fait je commence à détruire la luzerne fin juin et le 15 août, c’est prêt à semer.
j’ai acheté une charrue déchaumeuse qui laboure à 15 cm. Ça ne bouleverse pas trop la structure du sol. Si on laboure à 30 cm, la vie microbienne ne survit pas. On met tout dans le fond et ça manque trop d’oxygène à 30cm.
Je n’ai pas choisi le semis direct car il faut mettre du glyphosate (comme on ne touche pas au sol on ne nettoie que par herbicides et je ne voulais pas) et aussi car les limons battants ne se restructurent pas au gel, à la chaleur.
Je sème la luzerne en mars-avril dans le blé. Elle pousse lentement car elle a peu de lumière. La photosynthèse du trèfle commence un mois avant la moisson.
L’objectif c’est de travailler le sol le moins possible.
Il y a le potentiel redox. C’est un schéma :
le PH est sur l’abscisse, la résistivité (l’électricité dans le sol) sur l’ordonnée .
On constate que les maladies se développent toujours à un certain endroit de la croix. Donc on essaie de l’éviter.
Le PH idéal, c’est le neutre. 7.
Plus le taux de matière organique dans le sol est haut, plus c’est stable.
On peut agir sur la résistivité. Par exemple en ramenant du basalte. Ça fait augmenter le para-magnétisme. L’idéal c’est d’en mettre un peu chaque année.
*
Je me suis installé en 1987.
Je faisais des études agricoles et quand j’étais en première, mon père est tombé malade. Il est décédé quand j’avais 20 ans. J’ai repris la ferme.
À l’époque, c’était déjà un système céréalier. Blé, colza, betterave, pomme de terre…
On habitait dans le village. On était à l’étroit. Mon oncle m’a conseillé de m’installer en plaine. Je ne l’ai pas regretté.
En 1988, j’ai construit un premier bâtiment, puis ma maison, puis un deuxième.
On fait du bruit donc c’est mieux, on n’embête pas les voisins, il n’y en a pas.
Le seul inconvénient, c’est le vent.
En 1995, j’ai arrêté le labour. Au début j’étais un peu surveillé, critiqué, on m’a pris pour un fou, mais j’avais pas de pression familiale, pas de père pour contester mon choix. Même chose quand je suis passé au bio.
Déjà à 18 ans, c’était mon optique.
Même avant de passer au bio, j’avais suivi des formations pour dynamiser les plantes. Je traitais à 20% de la dose habituelle.
Le microbiote humain et la vie du sol, ça fonctionne selon des principes comparables. Si on prend trop d’antibiotiques, on détruit toutes les bactéries et les micro-organismes dans les intestins. Si on traite la terre, on détruit toute cette vie sur les 5 premiers centimètres de terre.
Le glyphosate, c’est utile aux gens qui veulent être en semis direct. S’il y a beaucoup d’érosion par exemple. Celui qui laboure ne devrait pas avoir besoin de glyphosate.
Celui qui est en semis direct et qui a une grosse couche de matière organique au niveau du sol, s’il met du glyphosate, les matières actives vont être consommées, le glyphosate n’entrera pas dans la terre.
On s’acharne sur le glyphosate parce que c’est le plus connu, c’est plus facile de taper dessus. À mon avis, on ferait mieux de commencer par supprimer les raccourcisseurs de blé. Ce sont des hormones.
Tout ces produits sont dangereux bien sûr, mais on devrait commencer par les plus nocifs.
Mon seul élevage, c’est les vers de terre. Je fais tout pour l’entretenir. Je leur mets des engrais verts.
Pour le blé, plus je mélange les variétés, plus il lutte contre les maladies.
En rendement, je fais 2 fois moins que les conventionnels.
S’ils font 100, je fais 45. Mais si l’année est bonne, je peux monter à 60 ou 70.
En temps normal, le blé conventionnel se vend 200 euros le quintal.
Le blé bio, c’est 450 euros le quintal.
En ce moment, le marché du blé bio est saturé. Mon blé part en Hollande.
J’ai commencé le chanvre. C’est la deuxième année que j’en fais.
En bio, pas besoin d’engrais. Ça pousse vite et haut, ça couvre bien.
Par contre, ça pousse mal si le sol est très tassé.
Je récupère la graine pour faire de l’huile, ou sinon on décortique la graine et on la mange comme ça. Sur des salades par exemple.
Je fais aussi du lin, pour faire de l’huile. C’est l’huile la plus riche en oméga3. C’est aussi la plus fragile. Avant 2000, elle était interdite à la consommation. Ça rancit vite et ça devient toxique. On la conditionne dans des bouteilles de 25cl maximum, des bouteilles teintées. Il faut la mettre au frigo et la consommer assez vite.
– Pourquoi avoir planté des lignes d’arbres en bordure des terres ?
– Pour l’érosion. C’est toujours humide, il y a des coulants d’eau, les coulées de boue. J’ai voulu stopper ça. Réduire le labour et planter des haies, ça stoppe l’eau.
Pour avoir des terres bios, il faut allonger les rotations. On peut mettre des légumes. Une exploitation des Landes me l’a demandé, je l’ai fait.
Sur mes 220 hectares, j’ai 180 ha en céréales et 30 à 40 en légumes.
Les légumes, ça fait baisser la matière organique. On critique ceux qui font de l’huile de palme à l’étranger mais ceux qui ne font que des légumes, ils font la même chose.
Il faut savoir où on met le curseur.
Plus on fait de légumes, plus c’est rentable.
Les carottes du nord sont riches en argile, elles ont meilleur goût. Les carottes des sables, c’est moins bon.
*
On est certifié ECOCERT.
On a deux contrôles par an :
– 1 inopiné. Ils vont sur les terres, ils contrôlent ce qu’ils veulent.
– 1 prévu. Là ils contrôlent aussi toutes les factures.
Le bio français est réputé parce que les contrôles sont stricts.
*
Aujourd’hui j’ai 58 ans.
J’ai trois filles.
Ma fille aînée a fait un BTS arts appliqués, puis un CAP de fleuriste. Elle va revenir à Rubempré pour cultiver ses fleurs. Elle s’intéresse au sol. Ça m’a surpris.
La deuxième est ergo-thérapeute.
La troisième est monitrice d’équitation.
Sur l’exploitation, j’ai un salarié. Il a 32 ans. À la moisson, mon ancien salarié vient donner un coup de main.
Je ne suis pas pressé de prendre ma retraite.
On a construit une serre pour les fleurs de ma fille. Si la deuxième fait des chevaux, je ne suis pas près de la prendre, ma retraite…