Démarche :
HABITER, habiter la nature,
Éric Caron, cidrier (5)
[ Rencontre des Alouettes, le 25 janvier 2021, à La Forge, Molliens au Bois, avec Éric Caron, cidrier à Saint Gratien. Écrit de Denis Lachaud. Suivi de photographie d’Eric Larrayadieu ]
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Je suis l’aîné de trois garçons. Quand j’étais gamin, j’allais en vacances en Normandie, dans un petit village près d’Argentan, dans la famille qui avait accueilli ma grand-mère avec mon père sous le bras, pendant l’exode.
Les deux familles sont toujours restées en contact, il y a eu des échanges de jeunes et c’est comme ça que j’y ai séjourné. J’adorais y aller. J’aimais beaucoup le paysage, les pâtures, les haies, les vaches normandes et les pommiers. On était enfants mais il nous arrivait de boire du cidre.
C’est une époque, une façon de vivre, l’agriculture extensive, la main d’œuvre… Les pommes et le cidre sont devenus une passion.
Plus tard, j’ai épousé une fille de Saint-Gratien. Ses parents étaient fermiers. On a commencé à faire du cidre dans des vieux fûts de bois, en ramassant des pommes à gauche et à droite. On a acheté un pressoir. Le cidre était infect, au début. Puis j’ai adhéré à une association d’amoureux de la pomme : i z’on creuqué eun pomm (Ils ont croqué une pomme). J’y ai rencontré des anciens. Ils m’ont montré comment faire. J’ai appris en échangeant avec d’autres personnes. À chaque fois que l’association organisait une journée d’information sur la pomme, j’y allais.
On a fait un peu de cidre, puis on a commencé à en donner aux copains, puis on a commencé à en vendre… Nous avons créé l’entreprise en 2009.
On a acheté nos premiers pommiers à la cidrerie Maeyaert. On en a planté douze la première année, seize la deuxième.
On les a plantés sur une pâture que mes beaux-parents ont mise à notre disposition. Finalement, on a construit notre maison au bout de la pâture.
Aujourd’hui mes fils cultivent les terres venant de mes beaux-parents. 100% de ces terres sont converties en bio, ou en cours de conversion.
Il y a deux entités :
- La SCEA des trois villages, c’est la société de mes deux
- La Cidrerie du pays des Coudriers
Petit à petit, on a continué à planter des arbres, y compris sur une pâture qu’on loue. Aujourd’hui, on a à peu près mille arbres. Mais ça ne veut rien dire : il y a des hautes tiges, majestueux, plantés à plus de dix mètres les uns des autres, il y a les basses tiges, des arbres qui produisent après quatre ou cinq ans, plus intensifs, plantés à trois mètres les uns des autres, d’une durée de vie plus courte.
On compte trois familles de pommes :
- les douces
- les amères
- les acidulées
Pour faire le cidre, on mélange environ 50% de douces avec 40% d’amères et 10% d’acidulées. Pour le jus de pomme, on mélange des douces et des acidulées.
Les pommes à cidre produisent un jus tannique. Pour le jus de pomme, il ne faut pas trop de pommes à cidre, sinon, c’est compliqué de l’éclaircir, d’obtenir un jus transparent à cause du tannin.
Le jus de pomme est pasteurisé à 80°.
Dans le cidre, il reste des levures. C’est du vivant. Les levures transforment le sucre en alcool et en gaz. Elles permettent la fermentation.
Nous, on produit du cidre à effervescence naturelle. C’est un peu plus aléatoire. Au moment de la mise en bouteille, moment délicat du processus, on soutire au dessus, on laisse la lie. On appauvrit le jus en levures, pour calmer la fermentation. Il reste néanmoins des levures dans les bouteilles. Elles continuent à vivre, à faire du gaz. C’est ce qui va produire l’effervescence. Dans le cidre industriel, il n’y a plus aucune levure. Parfois même, il est pasteurisé. Il n’y a plus aucune matière vivante. Il est alors gazéifié.
C’est plus compliqué de faire du cidre à effervescence naturelle. (bio ou pas bio, c’est autre chose).
On compte les levures au microscope au moment de la mise en bouteille. Ou alors on mesure la densité chaque semaine. Le jus sort du pressoir à environ 1060g/l. C’est sa masse volumique. Au fur et à mesure qu’il fermente, il s’allège. On le met en bouteille à peu près à 1023g/l pour faire du cidre doux et à 1016-1018g/l pour le cidre brut. On surveille. Si ça descend trop fort, on enlève des levures. Puis ça se stabilise.
On reconnaît un cidre industriel au cul plat de la bouteille. Le point faible de la bouteille, c’est le cul. Pour le cidre à effervescence naturelle, on utilise des bouteilles à fond creux. Le creux permet de contrer la pression du gaz qui augmente avec la fermentation. Les bouteilles sont plus épaisses et plus lourdes. Elles pèsent 750 grammes.
Nos bouteilles sont des bouteilles recyclées.
On produit aussi du pétillant de pomme. Ça marche bien. C’est un jus de pomme nature qu’on fait gazéifier puis pasteuriser.
On ne produit pas de vinaigre de cidre. Le vinaigre, c’est un cidre malade. On appelle ça la piqûre acétique. Il y a des bactéries dans une mère. On met dix ou vingt litres de cidre avec la mère et ça produit du vinaigre. Le problème, c’est que les bactéries sont très volatiles. Quand un producteur de cidre fait du vinaigre, il est obligé d’éloigner la production, ou d’avoir une salle fermée, de prendre beaucoup de précautions pour ne pas contaminer ses fûts.
On ramasse les pommes en octobre – novembre. On organise des journées ramassage avec des amis. C’est une fête.
On a aussi une ramasseuse qui nous soulage considérablement.
Nos vergers sont bio. La partie process doit encore être validée.
On a mis une fois un amendement au pied des pommiers. C’était de la fiente de poule bio. On l’a versé à la casserole. Une à deux doses par arbre. Ça agit un an après. Il faut laisser le temps à l’azote de se minéraliser. Mes fils ont fait un carottage, c’était concluant. Il faudra qu’on recommence.
On met aussi de la bouillie bordelaise, c’est autorisé en bio à une certaine quantité. C’est du cuivre. Ce n’est pas anodin. Le cuivre pollue. On est attaché à l’authenticité, au côté naturel.
Pour nous, le danger, c’est le gel. En 2019, on a eu deux matins consécutifs à moins sept degrés. Une partie des fleurs a été détruite.
Notre distribution, c’est beaucoup de circuits courts, coopératives d’achat, quelques restaurants ou crêperies.
Notre activité est croissante depuis le début. Il y a eu une explosion des ventes en 2020 après le premier confinement. Avril mai juin. Puis ça a rebaissé, tout est redevenu pratiquement comme avant.
Aujourd’hui on se demande comment faire évoluer notre entreprise. On a déjà quelques idées…
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Action réalisée
Auteur.e.s Denis Lachaud Eric Larrayadieu
Productions liés
- Entre production et reconnaissance du travail bien fait