Démarche :
HABITER, habiter la nature,
Francis Charpentier, négociant
[- Rencontre des Alouettes à La Forge, Écrit de Denis Lachaud. Photographie d’Eric Larrayadieu -]
Nous sommes implantés à Beauquesne. Mon grand-père a mis l’entreprise en route en 1926. Mon père a pris la suite jusqu’en 1973. À l’époque c’était une SARL.
Il est décédé à l’âge de 51 ans.
À l’époque j’avais 20 ans, je sortais de l’école.
Je suis le troisième de six enfants.
L’aîné est médecin.
Le deuxième frère travaillait avec ma mère et moi le soir, après son boulot. Il a dû choisir, il a décidé de nous rejoindre.
Puis est arrivé le troisième frère. Puis une sœur.
La SARL est devenu une S.A.
C’est une entreprise très familiale.
Avant le décès de mon père, nous, les enfants donnions un coup de main pendant les vacances.
On déchargeait les camions d’engrais. On réceptionnait le colza. On aidait à la facturation.
En 1976 on a installé nos premiers silos à la sortie du village.
Il y avait 2 coopératives, nous étions le 3e centre de réception de céréales qui se mettait en place à Beauquesne.
On a avancé en construisant des silos à la sortie d’autres villages.
On fait de la collecte de céréales, d’oléagineux et protégineux. On fait aussi de l’approvisionnement : alimentation animale, semences, produits phytopharmaceutiques – (ce que beaucoup appellent les pesticides)- plastiques, ficelles… fertilisants.
Au départ les coopératives avaient un poids énorme.
La coop est un système de distribution qui appartient aux agriculteurs.
Le négociant, c’est une entreprise privée.
Avant la 2e guerre mondiale, il n’y avait pratiquement que des négoces. 1936 a connu une crise au niveau des céréales. Les meuniers se sont mis à acheter du blé de meilleur qualité à l’étranger, ils n’achetaient plus le blé français. Les Américains ont envoyé du blé de meilleure qualité à des prix plus compétitifs. Alors les communistes d’un côté et les curés de l’autre ont proposé de créer des coopératives pour collecter le blé français.
L’Office National Interprofessionnel des Céréales a été créé en même temps. Il a garanti un prix minimum, ce qui a permis aux agriculteurs de vivre.
Avec l’évolution réglementaire, les silos ont été interdits dans les communes, suite à plusieurs explosions de silos.
Beaucoup d’entreprises de négoce ou de coopératives ont dû s’extérioriser.
Chez nous, les deux coopératives se sont regroupées à Beauval.
À l’époque où j’ai dit que je voulais rejoindre l’entreprise, mon père m’a dit « que je faisais une bêtise, qu’on allait être étouffé par les coopératives ».
On a eu la chance de développer notre entreprise car le sytème coopératif s’est concentré. À l’époque, il y avait une coopérative par canton. Elles se sont rapprochées pour faire des économies d’échelle.
À chaque regroupement, on a gagné des clients.
L’agriculteur n’aime pas être pris en tenaille.
Le négoce est l’alternative au système coopératif. Notre avantage : en tant que patron, vous pouvez travailler 7 jours/7 si vous le décidez, donc on a pu fournir du service, de la disponibilité… Ça a été le moyen de contrer le système coopératif qui bénéficie de 4 milliards d’euros d’aides de l’état au niveau national.
Beaucoup de coops ont racheté des négoces et travaillent sur les deux tableaux.
Des négoces purs, il n’en reste que 3 ou 4 dans la Somme.
On ne compte plus que 700 négoces en France qui cotisent à la fédération.
L’esprit négoce, pour nous, c’est d’aider. La notion de service est très importante. On livre en 24 ou 48h, par exemple. On essaie de réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, tout en préservant les rendements et en proposant une nourriture saine. Ce n’est pas toujours le cas dans le bio, quand vous l’achetez en supermarché. Par exemple, on peut utiliser 10 produits phyto utilisés dans le bio en Espagne qui sont interdits en France dans le conventionnel.
L’agri-bashing nous énerve beaucoup. On fait tous les efforts nécessaires. Par exemple, on travaille sur la zéro-utilisation de fongicides sur les pommes de terre et ça marche.
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Au fur et à mesure l’entreprise a grandi. On a du succès. On est au service des agriculteurs. Au moment de la moisson on est ouvert 24h sur 24, si nécessaire, pour réceptionner les récoltes.
De fil en aiguille, on est arrivé à 50 salariés aujourd’hui. On ne veut pas dépasser les 50 salariés pour les histoires de Comité d’Entreprise.
Notre entreprise s’étend sur la moitié ouest de la Somme et le sud du Pas-de-Calais. On collecte 270.000 tonnes de céréales, notre chiffre d’affaires est de 132 millions d’euros. Avec la guerre en Ukraine, on est passé de 90 à 132 millions d’euros d’un seul coup, augmentation très forte des céréales et fertilisants.
Depuis 2001-2002 on a repris une entreprise près d’Arras. Elle fait le même travail que nous et en plus, elle distribue du fuel, du charbon et des granulés de bois.
Dernièrement on a repris une entreprise de fabrication d’aliments pour le bétail, le MASH. C’est un mélange de tourteau de soja, de colza et autres ingrédients dont des minéraux.
Aujourd’hui on possède 11 dépôts. Un 12e va se construire dans le Vimeu.
Nous sommes aussi artisans bouilleurs et cidriers. On possède un alambic et une machine à cidre. Mais l’activité a baissé. Financièrement, ce n’est pas rentable, mais on le fait par tradition.
J’entame ma 50e campagne de vente d’engrais. Depuis deux ans c’est d’un compliqué pas possible.
Si on parle d’azote, ce qui se vendait 200 à 300 euros en juin 21 est monté à 950 euros en avril-mai 22. Pour la campagne 2023, on a démarré à 680 euros en juin-juillet, puis 950 en août-septembre et 640 aujourd’hui (janvier 2023).
La fabrication de l’azote nécessité beaucoup de gaz, d’où les fluctuations de prix.
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J’habite à l’extérieur du village, les soirs d’été, j’entends le bruissement des insectes, je les devine à une trentaine de mètre. Il y a encore une multitude de bestioles, tout n’est pas perdu pour la biodiversité.
Je suis quand-même un peu catastrophé à propos du monde que je vais laisser à mes enfants et mes petits-enfants : réchauffement climatique, dette de l’état, toutes les guerres…
Parmi nos enfants, certains ont intégré l’entreprise, des garçons et des filles, des conjoints. Deux membres de 3éme génération ont pris leur retraite. Pour les deux autres le relationnel est leur dada. On a pris notre retraite, mais on est toujours présent. J’ai 69 ans 1/2, j’ai peur que l’activité et le contact me manquent après tant d’année.
On est la troisième génération, on a toujours investi, on a développé et aujourd’hui, nos petits-enfants font des études agricoles.
Les plus âgés laissent faire les jeunes, on donne notre avis quand même.
Dans notre entreprise, les décisions sont collégiales. Elles se font en général à l’unanimité. On s’entend très bien, entente qui s’est fondé sur ce drame familial, le décès prématuré de notre père. Il s’est fait une sorte de ciment à ce moment-là.
Action réalisée
Auteur.e.s Denis Lachaud
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